Tes yeux sont si bleus que les oiseaux demeurent
Prisonniers loin du ciel
Accrochés pour toujours aux barreaux de tes cils
Si bleus sont tes yeux
Tes yeux sont si purs que des lacs s'y reflètent
Figés par le grand gel
Réfugiés dans leur calme et dans leur transparence
Si purs sont tes yeux
Tes yeux sont si noirs que les chevaux voltigent
Dans leur espace sombre
Et repoussant au loin les confins de la nuit
Si noirs sont tes yeux
Tes yeux sont si doux que les désirs bourgeonnent
Sous leurs vents Alizés
Dans le festin sucré des couleurs et de formes
Si doux sont tes yeux
Tes yeux sont si secs que leur désert embrase
Ses derniers oasis
Où les caravaniers ne trouvent qu'un mirage
Si secs sont tes yeux
Tes yeux sont si vifs qu'un bébé musaraigne
Y trouverait refuge
Loin des chats aux yeux doux qui chassent en silence
Si vifs sont tes yeux
Tes yeux sont si beaux qu'un désespoir abstrait
Contracte les désirs
Et fit reculer Faust au seuil de Marguerite
Si beaux sont tes yeux
Tes yeux sont si saints que les clochers culminent
Dans leur espace interne
Leur Angélus éclate aux confins de la terre
Si saints sont tes yeux
Tes yeux sont si fous que la raison déraille
En frôlant leur désastre
Et se réfugiant dans la région des astres
Si fous sont tes yeux
Tes yeux sont si flous que le bonheur hésite
A parier sur la lune
A parier sur le sort et sa bonne fortune
Si flous sont tes yeux
Tes yeux sont si faux qu'un phylactère ancien
Ceignant ton front trop pur
Blasphémerait l'enfer et pâlirait le ciel
Si faux sont tes yeux
Tes yeux sont si lynx que le lièvre détale
Avant de t'avoir vu
Craignant le coup de griffe avant d'avoir vécu
Si lynx sont tes yeux
Tes yeux sont si verts que la vision s'égare
A suivre leur rayon
Sur la mer agitée au bout du crépuscule
Si verts sont tes yeux
Tes yeux sont si fiers en leur dédain natal
Ignorant les hommages
Du mendiant amoureux du roi et du vassal
Si fiers sont tes yeux
Tes yeux sont si clairs que leur rayon subsiste
Après la fin du jour
Léguant son souvenir à l'immortalité
Si clairs sont tes yeux
Tes yeux sont si naïfs qu'ils désarment la guerre
Par un baiser d'enfant
Devant qui les armées déposeraient les glaives
Si naïfs sont tes yeux
Tes yeux sont si creux qu'une chèvre sauvage
S'y pencherait pour boire
Et se romprait le col en atteignant le fond
Si creux sont tes yeux
Tes yeux sont si cons que leur niveau mental
Interdit l'abstraction
Ignorant sans appel tout jugement moral
Si cons sont tes yeux
Tes yeux sont si gris en leur dédain subtil
Exilant tout bonheur
Qu'ils échouent dans leur cause en navrant tout honneur
Si gris sont tes yeux
Tes yeux sont si durs que les marins se signent
Croyant surgir un squale
Dans le flot écumeux des vagues océanes
Si durs sont tes yeux
Tes yeux sont si grands qu'ils contiennent le Ciel
Et le diable en personne
Le mal et la bonté le tout et son contraire
Si grands sont tes yeux
Tes yeux sont si froids que le destin chavire
En eux lorsqu'ils sont clos
Enfermés dans leur vide et dans leur vacuité
Si froids sont tes yeux
Tes yeux sont si morts que leur effroi s'affiche
Révulsés par la fin
Accrochés à l'envers aux barreaux de tes cils
Si morts sont tes yeux